C’est quelqu’un avec qui tu pourrais être ami, mais
ce n’est pas possible. Il ne faut surtout pas se
risquer à être ami avec lui, ça n’est pas possible. Il
a tout le profil d’un ami possible, mais ce n’est
qu’un leurre. Il ne faut pas s’attacher à lui. Il n’a au
fond rien de bon. Il a du bon tout autour de lui,
mais dedans il y a quelque chose qui pue. C’est un
ami mais un peu puant avec qui il ne faut pas trop
rester. Ça aurait pu être un bon ami, un très bon
ami même, mais il vaut mieux éviter de faire fausse
route avec lui. D’ailleurs, c’est ainsi que je l’ai
appelé. Avant je le surnommais mais il n’aimait pas
du tout le surnom. Il disait, C’est vraiment pas
beau ça. Alors j’ai arrêté de le surnommer. Il faut
dire que c’était un sobriquet. Il faut aussi dire qu’à
l’époque, dans mon entourage, tout le monde
s’appelait par un sobriquet, mais lui il a de suite
marqué une différence. Il a trouvé ça horrible de se
faire nommer par un sobriquet. Alors je l’ai appelé
Fausseroute, mais je ne le disais pas en sa
présence. En sa présence, je restais très cordial,
mais sinon je l’appelais « l’ami Fausseroute ». Je
savais qu’il ne fallait pas s’engager davantage et
pourtant je le voyais souvent, c’était l’ami des
amis. Tout le monde était ami avec lui et en même
temps, il était seul, déjà parce qu’il montrait à
chaque fois sa différence. À un très bon ami à lui, il
lui a dit un jour, Tu ne viens pas avec nous.
Fausseroute s’était fait un nouvel ami avec qui il
voulait sortir et l’ancien a voulu les suivre. L’ancien
ami de Fausseroute, on pourrait presque dire qu’il
s’agissait de son ami d’enfance, c’était tout comme.
Il était l’ami de ses débuts à Fausseroute. Quand
Fausseroute s’est retourné et lui a dit, Toi tu ne
viens pas avec nous, ça lui a fichu un sacré coup à
cet ami des débuts. C’était l’ami des débuts de
Fausseroute et point final, maintenant il pouvait
prendre un autre chemin, Fausseroute n’avait plus
besoin de lui. Comme le jour où je lui ai montré une
photo de mon père et qu’il a dit, Oh ! Comme il
n’est pas gros, lui ! Évidemment je n’ai pas compris
que c’était par méchanceté qu’il disait ça tout haut
et tout fort, en détachant bien les mots. Chez nous,
à l’époque, il n’y avait jamais de méchanceté, on
accueillait n’importe qui chez nous, les gens
rentraient sans frapper, et lui on l’a fait entrer
comme n’importe qui. Il est entré sans frapper, il a
parlé aux enfants, il a dit qu’il était comme eux. Je
lui ai montré les dessins de ma fille et il a dit, Je
fais comme ça aussi. Il dessinait et il écrivait pareil
qu’un enfant. Et je lui ai montré alors une photo de
mon père et il a dit, Oh ! Comme il n’est pas gros,
lui ! Il a dit ça bien doucement, bien distinctement,
en détachant bien les mots et en me regardant
droit dans les yeux. Ce n’était pas
un ami véritable avec qui faire un bout de chemin
tranquillement et parler sans retenue, car
Fausseroute attendait le moment propice pour
barrer la route à l’ami, à celui qui ne fait pas
attention, qui se livre, à celui qui a confiance et qui
s’épanche un peu. Il ne fallait pas s’épancher du
tout avec Fausseroute, mais le traiter comme un
collègue, un collègue qui frappe à la porte et à qui
on ouvre de manière circonspecte. Quelqu’un qu’on
regarde en fronçant les sourcils, car c’est quelqu’un
qui vient vous voir et qui vous juge sans retenue.
Fausseroute était le genre d’ami avec qui on allait,
un jour ou l’autre, partir dans le décor.
Charles Pennequin
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